//// L'ange ivre ////


Yoidore Tenshi - 1948
 

Toshiro Mifune dans le film - Cliquez sur l'image pour l'agrandir (78 Ko)


Réalisation et montage : Akira Kurosawa.
Scénario : Keinosuke Uegasa, Akira Kurosawa
Directeur de la photographie : Takeo Ito (35 mm ; 1,33 ; noir et blanc)
Musique : Fumio Hayasaka (avec des citations de " La valse du coucou " et de différents morceaux de jazz)
Producteur : Shojiro Motoki
Société de production et de distribution : Toho

Interprétation :
Takashi Shimura (le Dr. Sanada)
Toshiro Mifune (Matsunaga, le gangster)
Michiyo Kogure (Nanae, sa maîtresse)
Reizaburo Yamamoto (Okada, le chef de gang)

Durée : 2h30, réduit à 1h38

Peu après la fin de la guerre, un jeune yakusa (gangster) vient en pleine nuit se faire soigner une blessure à la main chez le docteur Sanada, dans un quartier pauvre de Tokyo (l'image même de ce quartier illustre bien la difficulté du Japon à se remettre de la défaite : tout y est insalubre, les ordures traînent dans la rue).
Le docteur, par conscience professionnelle et parce que le jeune chef de gang lui rappelle sa jeunesse, tente de le convaincre de faire attention à sa toux. En effet, il craint que le jeune homme ne soit atteint de la tuberculose, maladie endémique dans ce quartier sans hygiène. Le jeune chef, par fierté, refuse de croire ce vieil homme alcoolique, et s'en va comme si de rien n'était.
Mais le docteur s'accroche à ce malade qui ne veut rien savoir, comme s'il avait enfin trouvé là une raison d'exercer son métier : il suit le jeune homme partout et des liens se tissent entre les deux hommes, souvent fait de violence. Sanada voit Matsunaga s'enfoncer dans la maladie sans rien faire. Le jeune homme fier et fringuant du début fait place au fur et à mesure à un homme diminué, qui continue cependant à croire aux valeurs de son monde. Un jour, cependant, il se décide à faire quelque chose : il ressort fringuant de la clinique, prêt à tout faire pour éradiquer sa maladie. Cependant, il se retrouve vite confronté aux réalités du milieu des gangsters : il a une image publique à défendre. Ce tiraillement est magnifiquement exprimé dans la scène du cauchemar (une des plus belles du cinéma), où il se voit lui même sur une plage en train d'ouvrir un cercueil qui contient un autre lui.
Tout s'accélère lorsque l'ancien chef du quartier sort de prison et veut reprendre son territoire : le jeune truand, qui croit dur comme fer au code d'honneur du milieu et reste persuadé que son chef n'osera pas lui enlever son territoire. Matsunaga surprend pourtant une conversation qui ne lui laisse guère d'espoir sur la suite de sa carrière de yakusa. En dernier recours, il décide de tuer son rival, mais, affaibli (on le voit crachant du sang et toussant sans arrêt), il ne peut que s'incliner, après un duel somptueux (les deux hommes exténué se coursent en rampant dans de la peinture renversée de son seau pendant la lutte). Il s'écroule dans la cour. Le docteur, quant il apprend la mort de son jeune protégé, perd les quelques illusions qui lui restait : " Après tout, ce n'était qu'un gangster raté… Un chien reste un chien, rien ne peut le transformer ".
Profondément pessimiste, le film comprend quand même quelques lueurs d'espoir (le personnage du docteur trouve quand même une raison de vivre et d'exercer son métier pendant le film et, parallèlement à la déchéance de Matsunaga, se raccroche à la guérison d'une jeune patiente).
Ce film est sûrement l'un des plus beaux films de gangster jamais tourné : loin du tape-à-l'œil et des suites de scènes de combat, il centre sa vision sur le parcours d'un homme, dont la vitalité s'amenuise de jour en jour, et qui va voir son monde s'effondrer : le code d'honneur des yakusa (issu de la longue tradition des samouraïs), auquel il croît plus que tout, va être rompu sans qu'il puisse rien faire. Toshiro Mifune, dont c'est la première apparition dans un film de Kurosawa est tout simplement extraordinaire dans ce rôle : on a du mal à croire que l'arrogant jeune homme du début du film est la même personne que l'épave (aussi bien au sens physique que moral) de la fin du film. Le film contient des scènes mémorables, qui prouvent l'extraordinaire maîtrise technique et picturale de Kurosawa : la scène de cauchemar sur la plage, le duel final, la mort du gangster (filmée en plongée)
Sur ce film, Kurosawa a déclaré: "Avec la performance de Toshiro Mifune dans le rôle du gangster, c'est le premier film dans lequel mon idée originale a été complètement bouleversée. La performance de Takashi Shimura dans le rôle du docteur était excellente, mais on ne pouvait pas lutter contre la force naturelle de la performance de Mifune. Comme le titre l'indique, c'est le docteur qui était supposé être le héros du film. Mais il aurait été honteux de tenter de restreindre la vitalité de Mifune..."