//// Les acteurs fétiches ////



Toshiro Mifune (1920-1997)
 

   Toshiro Mifune est une véritable icône du cinéma de Kurosawa (il a tourné avec lui pendant 17 ans, de "L'ange ivre" à "Barberousse"). Bien que de nationalité japonaise, il est né le 1° avril 1920 en Mandchourie (Chine) où il a été élevé. Après des études de photographie, il arrive pour la première fois au Japon pendant la seconde guerre mondiale, en tant que militaire dans une base à Kyushu.
Il déclarera plus tard: "J'étais là, jeune homme naïf, à l'âge où tout le monde doit aller à l'armée, appelé pour le service actif. J'ai quitté ma maison, mes parents, sans savoir que je ne les reverrais jamais, et anxieux à l'idée de devoir tuer des gens. Nous avons tous été envoyés à la boucherie. Quel cauchemar! J'ai été un soldat désespéré pendant six ans. Mes mains, comme âbimées par le travail, sont le souvenir indésirable de cette période..."
A la fin de la guerre, en septembre 1945, dans un Japon en ruine, le jeune homme ne sait où aller ni que faire: ses parents sont morts et il ne connaît personne. Il considère que la seule voie possible est de partir à Tokyo chercher un travail de photographe. Mais les quelques places sont déjà prises...

   Au printemps 1946, il entend parler de la création d'un poste d'assistant caméraman dans un studio de cinéma. Sans illusions, il va quand même poser sa candidature. Un mois après, on lui fait passer un entretien où on lui demande de rire. Il répond: "Rire? Pourquoi faire? Je suis ici pour un travail !"
Sa demande d'embauche s'est en fait retrouvée par hasard entre les mains de "chasseurs de nouveaux talents" du studio TOHO. Il leur répond sèchement "Je n'ai aucune envie de rire". La plupart des hommes en face de lui veulent se débarrasser de ce candidat arrogant, mais l'un d'eux lui donne une seconde chance, en lui demandant de jouer un homme ivre. Se demandant toujours ce qu'il fait là, il va quand même leur en mettre plein la vue: être ivre, il sait ce que sait: il crie, pleure, se jette par terre... et est embauché...

   Tout s'accélère: il obtient vite un premier rôle et, deux films plus tard, c'est déjà une star. Akira Kurosawa, qui a assisté au mémorable casting de la TOHO engage Toshiro Mifune sur "L'ange ivre" en 1948. C'est le début d'une rare complicité entre les deux hommes: entre 1948 et 1965, Mifune tiendra le rôle principal de tous les films (sauf un) de Kurosawa, avec au passage quelques chefs-d'oeuvre comme "Rashomon" (1950), "Les sept samouraïs" (1954), "Vivre dans la peur" (1955), "Le château de l'araignée" (1957), "Yojimbo" (1961), ou "Barberousse" (1964), qui marque la fin de la collaboration entre les deux hommes. Les deux hommes n'étaient pas d'accord sur la manière dont le personnage principal devait être joué...
Sur Mifune, Kurosawa a déclaré: "je n'ai jamais rencontré autant de talent chez un acteur japonais. Ce qui était le plus impressionnant, c'est la vitesse avec laquelle il pouvait changer d'expression. La rapidité de ses mouvements était telle qu'il lui suffisait d'une seule action pour s'exprimer, là où d'autres auraient mis trois fois plus de temps. Et malgré cette rapidité, il faisait preuve d'une sensibilité surprenante..."

   Si les studios ont tenté de lui faire jouer des rôles de "tatekayu", leader héroïque issu de la littérature militaire et de la mythologie samouraï, Mifune a toujours approché ces rôles de manière très décalée, comme s'il reprenait à son compte les stéréotypes pour mieux les faire éclater. Le réalisateur Donald Richie a déclaré à son sujet: "Mifune donne toujours l'impression de vouloir dormir avec autre chose qu'avec son sabre".
A partir des années 1950, ses rôles dans les films de Kurosawa vont prendre une tournure plus shakespearienne. Par exemple, dans le rôle de Kikuchiyo (Les Sept Samouraïs), il ne laisse jamais oublier au spectateur le passé tragique du personnage, qui doit se fondre dans un groupe dont il déteste le côté arrogant et dominateur. Dans "Le Trône de Sang", transposition de Macbeth dans le Japon médiéval, Mifune mélange les influences shakespeariennes et les traditions des sagas militaires japonaises et du théâtre Noh. Il prendra également des distances avec les héros-types dans Yojimbo (1961) et Sanjuro (1962), de Kurosawa, où sa composition ironique est à 100.000 lieues de l'attitude qu'on peut attendre d'un samouraï.

   A l'extérieur du Japon, Toshiro Mifune a eu deux carrières. La première, en tant qu'acteur de Kurosawa, dont les films, à partir de Rashomon (Lion d'Or à Venise en 1961 et Oscar du meilleur film étranger en 1962), vont connaître un succès croissant.
La deuxième, c'est ses performances dans des films étrangers. Il débute cette nouvelle vie de manière assez cocasse, en 1961. Il est engagé par le réalisateur mexicain Ismaël Rodriguez pour "Animas Trujano: El hombre importante". Ne parlant pas un mot d'espagnol, il doit apprendre de manière phonétique son rôle, qui sera ensuite post-synchronisé par un acteur mexicain. Il tourne son premier film américain en 1968 (après sa "rupture" avec Kurosawa): "Grand Prix" de John Frankeinheimer (avec James Garner et Yves Montand)
Cette carrière comprendra 9 films non-japonais, parmi lesquels "Duel dans le Pacifique" de John Boorman (1968, avec Lee Marvin), "Soleil Rouge" de Terence Young (1972, avec Charles Bronson, Ursula Andress et Alain Delon) ou encore "1941" de Steven Spielberg (1980, avec John Belushi). Mais la performance qui l'a le plus fait connaître des américains, c'est son rôle de Toranoga, le héros de la série télévisée "Shogun" (1980).

   Dans les années 1980 et 1990, Toshiro Mifune se fait de plus en plus rare sur les plateaux de tournage. Son dernier film, "Picture Bride" (Kayo Hatta), date de 1995. Il s'éteint à Mitaka City, Tokyo, le 24 décembre 1997. Depuis le jour de sa spectaculaire audition devant les pontes de la TOHO, il aura tourné plus de 130 films...

Voir l'article de Donald Richie sur Toshiro Mifune (1987)



Takashi Shimura (1905-1982)
 

   Takashi Shimura, né le 12 mars 1905 à Ikuno, dans la préfecture de Hyogo, au sud du Japon, est le descendant d'un longue lignée de samouraïs (comme Akira Kurosawa). Pendant l'université, il fonde une troupe de théâtre : Shichigatsu-za (le théâtre de juillet). C'est en 1934 qu'il fait ses débuts au cinéma avec les studios Kinema Shinko, et joue surtout des rôles de samouraï, jusqu'à ce qu'il signe un contrat avec le tout puissant studio Toho en 1943. Pendant les soixante ans qui vont suivre, il tournera environ 6 films par an pour ces studios, parmi lesquels les plus remarqués (et remarquables) sont les quelques 20 collaborations à des films de Kurosawa, souvent en duo avec Toshiro Mifune. Mais son plus grand succès commercial au Japon est son rôle de docteur dans le Godzilla original (« Gojira »-1954).

   En dépit de son physique plutôt ingrat, il saura s'imposer comme un acteur au jeu très fin, tout en retenue, ce qui accentue le contraste de ses duos avec le fantasque et exhubérant Toshiro Mifune, les deux hommes se retrouvant côte à côte dans quasiment tous les films de Kurosawa entre 1948 et 1965. Shimura "donne souvent, dans les films où il apparaît, une impression de solidité et de force", mais la personnalité de Mifune le relègue souvent dans des seconds rôles dans différents chefs-d'oeuvre, comme "L'ange ivre", "Les sept samouraïs" (où il joue Kambei, le chef de la bande des sept) ou "Chien enragé". Il ne faut cependant pas oublier les films de Kurosawa où Shimura tient le premier rôle, et donne des performances remarquables: "Le plus beau" (1944) et "Vivre" (1952). Il jouera également de nombreux rôles dans des films plus "kitsch", comme "La défense de la Terre" (1957), "La baleine tueuse" (1962),"Frankestein conquiert le monde" (1966) ou encore "Catastrophe 1999: les prophéties de Nostradamus" (1974).
Il meurt le 11 février 1982, à Tokyo.